Problèmes de spits

Auteur : claude Remy

Les spits fixés dans le rocher, pour autant qu’ils soient sains, sont rassurants puisque chaque point supporte une charge d’environ 2 tonnes. Pourtant, il s’avère que de nombreux spits présentent des défectuosités plus importantes et plus graves que l’on peut imaginer. En effet certains constructeurs de spits fournissent parfois du matériel défectueux qui rouille rapidement puis casse facilement – sans même le poids d’un grimpeur – car il ne correspond ni aux normes UIAA ni à celui annoncé. Espérons que cette présentation contribuera à faire prendre conscience du phénomène afin d’améliorer la sécurité. Dans tous les cas soyez vigilants, observez le matériel en place et s’il y a un doute, p.ex. dû à de la rouille, prenez vos dispositions et annoncez le cas (voir plus loin) !

Diverses normes, comme celles de l’Union Internationale des Associations Alpines (UIAA), sont utilisées par les constructeurs du matériel du monde alpin et de l’escalade comme informations techniques et références. La garantie d’un produit sans défaut est capitale puisque l’on y confie sa vie. Par exemple, les cordes, les baudriers et les mousquetons sont des outils reconnus pour leur solidité et leur fiabilité, et à juste titre. Malheureusement, certains tampons (goujons), plaquettes, broches, chaînes ou encore boucles (anneaux aux relais), une fois posés dans le rocher, révèlent de sérieux défauts qui sont le plus souvent imputables à des constructeurs spécialisés. Pourtant ces derniers se prévalent du respect des normes en la matière. Ce qui surprend dans les problèmes, et ce chez la plupart des fabricants, c’est non seulement l’ampleur des défectuosités mais aussi le fait qu’on les retrouve régulièrement au fil du temps. C’est d’autant plus curieux que les matériaux employés, les techniques de fabrication et les protocoles de contrôle sont parfaitement connus et maîtrisés depuis longtemps dans l’industrie et la construction navale, où l’inox 316L, en contact permanent avec l’air salin, se comporte parfaitement dans l’effort et le temps. Cela devrait exclure tout problème de qualité des spits d’escalade, or tel n’est pas le cas. Avant d’en venir aux défauts, voici un bref historique afin de mieux comprendre l’évolution de cet équipement.

Après les premiers pitons à compression, à expansion, puis les gollots (spits) artisanaux, ont suivi, dans les années 60-70, des tampons, tels que les Phillips ou Tilca, avec des plaquettes bricolées, ou les M8 vrillées de Petzl en anticorodal pour la spéléo, également employées pour équiper des voies, mais avec parcimonie car les trous étaient forés à la main.

Au début des années quatre-vingt, on passe au diamètre M10 (voire M12), et l’on trouve sur le marché divers tampons et plaquettes en acier (1) ou en inox (2) ainsi que des boucles pour les relais. Dès 1985, la pose des spits est facilitée par la perceuse à accus. Avec la multiplication des itinéraires, l’équipement avec des spits (tampons, plaquettes, broches…) évolue. Ce matériel est également employé dans des régions où son usage était peu courant, par exemple en bord de mer, où il s’oxyde rapidement à cause de l’air salin. Pour y remédier de l’inox A2 sera utilisé. Cet alliage, alors considéré comme excellent, ne suffit pas car sa composition ne résiste pas à la corrosion dans ce milieu agressif. Peu avant 2010, l’inox A4 316L ou l’inox HCR devient la norme pour équiper en particulier en bord de mer, afin d’éviter la corrosion. Hélas, au fil des années, des différences de comportement de ces inox utilisés dans les parois le long des côtes sont mises en évidence et, pire encore : leur qualité n’est pas toujours celle annoncée, comme on le verra ci- après. L’emploi d’un inox non conforme entraîne une confusion sur l’origine des défectuosités constatées, surtout en bord de mer. Selon l’UIAA et les fabricants, la corrosion sous tension (CSC) est le principal problème face à l’air salin pour des produits conformes et convenablement installés. Toutefois, la source des principaux problèmes mentionnés dans cet article se trouve en amont : ils sont liés à l’utilisation d’un autre inox que celui indiqué ou de boucles mal soudées, voire les deux. Voici brièvement quelques cas connus.

Peu avant 2008, le soussigné et plusieurs grimpeurs ont constaté à Kalymnos, Grèce, que des spits cassent très occasionnellement.

Automne 2011, dans la voie Reize à North Cape, qui venait d’être équipée, un tampon neuf s’est cassé au moment où Renée Guerin, assurée par Bruno Fara, se tirait simplement à une dégaine. A la même période sur cette île, dans une autre nouvelle voie, alors qu’un Anglais prenait un repos sur un spit, celui-ci a cassé, de même que le suivant lors de la chute qui s’en est suivie !

Il est alors apparu que c’était un ancien fabricant grec qui avait fourni un équipement non conforme pendant deux ans aux équipeurs de voies nouvelles de Kalymnos. Selon un arrangement entre le constructeur et la municipalité locale, Aris Theodoropoulos et ses amis ont remplacé environ 500 spits.

En 2011, le soussigné et d’autres grimpeurs ont constaté qu’un tampon d’une marque pourtant réputée, était affecté d’un défaut récurrent : environ un sur dix tournait dans le vide lors du serrage. En 2014, en bord de mer de la région de Sperlonga, Italie, où se trouve la Grotta dell’Arenauta, Federico D’Isep, Enrico Mazzoli et d’autres grimpeurs ont aussi constaté, parfois lors de sacrées frayeurs, que des spits et des chaînes de marques connues, cassaient facilement comme à Kalymnos ! Il a fallu du temps pour comprendre : ce n’était ni le sulfure ni l’air marin comme on l’avait d’abord cru, mais du matériel inox qui n’était pas de la qualité annoncée. Ce qui a été démontré par des analyses effectuées plus tard, par le laboratoire de diagnostic et science des matériaux de l’Université Tuscia de Viterbo, Italie, sur du matériel cassé qui avait été conservé.

Soulignons que de tels problèmes ont été rencontrés avec de nombreux spits au bord de la mer dans plusieurs pays.

Par contre, à San Vito lo Capo, Sicile, malgré la présence de sulfure et d’embruns provenant de forts vents d’ouest, Daniele Arena, qui suit attentivement la corrosion des spits, n’a constaté aucune attaque sur l’inox posé dans les années 80, ni sur ceux en 316L utilisés pour les rééquipements.

Il y a quelques années, différents fabricants ont vendu un spit d’un type nouveau, le PLX. Après le serrage de l’écrou au tampon, il n’était plus possible de le dévisser afin de changer la plaquette.

De plus, bon nombre de ces spits ne pouvaient être placés correctement, il était alors nécessaire de refaire un trou pour fixer un autre tampon.

Plusieurs équipeurs ont observé qu’il arrive que des aciers soient mélangés par les constructeurs, ce que l’UIAA recommande de ne pas faire : par exemple, des boucles en acier ont été soudées sur des plaquettes inox 316L, et c’est encore le cas actuellement ! Comme on l’a déjà évoqué précédemment, des équipeurs découvrent régulièrement que des tampons se fixent mal dans la roche : il est alors impossible de les serrer correctement car ils tournent dans le vide ou ressortent de la moitié de leur logement. Il faut alors repercer et placer un autre tampon. Dans ce cas, il est difficile de définir si c’est un problème lié au rocher ou à un défaut du tampon, mais il est curieux de constater que ce problème est récurrent chez certains constructeurs, alors qu’il ne l’est pas chez d’autres.

Le 23 février 2024, une photo montre une boucle fendue d’un relais posé en 2022, d’un nouveau fabricant (grec), à Leonidio, Grèce… Après vérification sur place, la municipalité et le constructeur sont informés par le soussigné que TOUTES les boucles de cette marque observées sur plusieurs secteurs, alors même qu’elles étaient récentes, présentaient de la rouille au niveau de la soudure et que bon nombre étaient fissurées voire fendues ! Précisons que l’on a pu constater que les boucles d’autres entreprises, situées à proximité, ne présentaient pas de défaut alors qu’elles avaient été posées plusieurs années auparavant. Peu après on retrouve le même matériel défectueux de ce fabricant à Kalymnos ! Début avril 2024, ce constructeur concerné par les boucles est venu à Leonidio et a pris des engagements (voir plus loin). Peu après, des analyses officielles du Professeur Ulderico Santamaria, directeur du Laboratoire de diagnostic et science des matériaux “Michele Cordaro” de l’Université Tuscia de Viterbo, Italie, ont établi que les soudures, les boucles et les plaquettes de ce fabricant, qui se prévaut pourtant des normes UIAA pour son matériel, n’étaient pas de la qualité annoncée. Notons cependant que les tampons de ce fabricant n’ont pas été analysés car il semblait initialement que seules certaines soudures avaient des problèmes.

Constat et mesures

Le constructeur a promis à la municipalité de Leonidio et au soussigné de changer lui-même tout son matériel défectueux et également de remplacer celui à l’étranger en prenant à sa charge les frais d’acheminement. Mais d’autres tardent à prendre position, voire ne répondent rien et ne viennent même pas sur le terrain. Tout fabricant concerné par des défauts avérés de ses produits devrait venir immédiatement sur place pour reconnaître le problème, informer les personnes concernées et prendre en charge le remplacement des pièces défectueuses ou non conformes, comme le font toutes entreprises responsables.

UIAA

On peut espérer que l’UIAA va opter pour des règles strictes qui garantissent la qualité que le

fabricant doit respecter. En plus des validations de laboratoire, il est indispensable d’avoir également des tests d’emploi du produit dans le terrain. On devrait aussi pouvoir espérer une garantie de ces produits dans le temps : au moins dix ans face aux conditions normales de vieillissement. Certaines règles dans l’industrie imposent une durée de vie des matériaux, dont les tampons, jusqu’à 25 ans. Cela entraînera un surcoût pour obtenir cette qualité, mais il en vaut la peine afin d’assurer une sécurité accrue.

Pour optimiser cette qualité, il ne faut pas non plus oublier les impératifs que les équipeurs doivent respecter lors de la pose du matériel dans le rocher, afin que là aussi toutes les précautions soient prises pour empêcher tout problème, mais à ce jour ce type de défauts sont considérablement plus rares que ceux des fabricants.

Inox

Le fer est un métal pur. Un acier est du fer allié au carbone. On parle aussi d’acier allié pour les aciers contenant des éléments tels que le Ni, le Cr et bien d’autres.

L’inox 316 est du 304 avec une teneur en chrome plus élevée et surtout 2 à 2.5 % de molybdène en plus, pour améliorer la résistance à la corrosion. Le 316L est du 316 avec une teneur nettement plus faible en carbone, pour améliorer la résistance à la corrosion de la soudure. Il est indiqué pour les applications en bord de mer bien que l’UIAA précise que le 316L n’offre pas une résistance à la CSC suffisante en bord de mer. Toutes autres indications à inox 316L n’ont pas de valeurs officielles. Les aciers 904L et 926 HCR sont encore meilleurs, mais plus chers.

Un simple test de base, certes non valide, peut donner un indice : l’aimant n’est pas attiré par l’inox 316L.

Les indications sur les plaquettes

On y trouve le plus souvent le nom de l’entreprise, la résistance, le type de métal et d’autres lettres et numéros. Il est souhaitable d’unifier et de simplifier ces informations tout en indiquant la date de fabrication. Il faudrait les graver et non pas les marquer au laser qui disparaît avec le temps.

Relais à deux plaquettes avec boucles non reliées

De tels relais sont moins chers, moins gourmands en énergie et en matériaux. Ils sont également plus solides, plus simples à fabriquer et à poser, et leur durée de vie est prolongée.

Titane

Il résiste particulièrement bien à la corrosion, mais il est beaucoup plus cher et sa fabrication, très complexe, consomme une grosse quantité d’énergie. Le titane ou des aciers type HCR semblent un bon compromis pour les environnements les plus agressifs qui lient air salin et taux d’humidité élevé. Mais a t’il été bien testé pour l’escalade ? Pourrait-il résoudre le problème de ceux qui utilisent mal l’inox ? Faut-il un produit si cher (pour lequel on annonce une durée de vie de 100 ans) alors que les voies sont souvent patinées après quelques années tandis que le matériel et l’activité évoluent ?

Matériel défectueux

  • Le professeur Ulderico Santamaria est à disposition pour faire des tests du matériel d’ancrage.

Remerciements

Daniele Arena, Ivan Cherpillod, François Dupont, Federico D’Isep, Bruno Fara, Renée Guerin, Lionel Kiener, Enrico Mazzoli, Jean-Michel Pauchard, Emanuele di Pellizzari, Ulderico Santamaria, Aris Theodoropoulos, ainsi que Daidalea Associazione Culturale et Carmela Malomo.

  1. Le meilleur marché, mais il rouille s’il y a de l’humidité.
  2. Plus chers, les inox sont des aciers alliés, dans le langage courant on parle d’aciers inox.

Autres infomations : le site de l’UIAA ainsi que : https://cragchemistry.com/2020/10/05/austenite-stability-are-we-missing-something-here/